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Max ou La Fabuleuse Origine du Tongue Drum

English version available here : https://www.victoirevalentin.com/Max-Tongue-Drum-Tale.html

Max ou La Fabuleuse Origine du Tongue Drum

 

     Voici Max. C'était un petit garçon qui habitait dans une maison au bord de la mer. Max était absolument passionné par le ciel. Il adorait les histoires de planètes qu'il lisait le jour, et, la nuit tombée, allongé sur la plage devant chez lui, il contemplait les milliards d'étoiles dont il connaissait par cœur le nom, les moindres détails concernant chacune d'entre elles...


     Mais un jour, Max a vécu une expérience incroyable. Tellement incroyable que ses parents, sa maîtresse et même ses copains ne l'ont pas cru quand Max leur a raconté. 


     Alors qu'il était resté très tard dehors pour observer le firmament, il pensa : « Tiens, je me demande comment est la vie, là-haut... Il doit certainement y avoir des maisons, des parents, une école, des plages comme celle-ci... Qu'est-ce que j'aimerais rencontrer des enfants venus de l'Espace ! Au moins une fois ! Ils doivent être gentils et puis, je suis sûr qu'ils ressemblent aux enfants de la Terre... Ce serait trop bien ! ».


     « Bon, maintenant, il faut que je rentre, sinon Maman va se fâcher. » Max se leva. Il traversa la plage, monta les escaliers qui menaient à sa maison lorsque tout à coup... un énorme chien jaillit de l'ombre pour lui barrer la route ! Max, sous l'effet de la surprise, tomba à la renverse, se releva aussitôt et se mit à courir le plus vite possible pour échapper au chien qui le pourchassait. Il était tellement paniqué qu'il n'entenda pas le sifflement du maître rappelant son chien et continua sa course. Il emprunta le sentier, longea la côte, couru, couru jusqu'à ce que ses jambes l'amenèrent aux dunes d'une petite crique. 


     Là, il se laissa tomber sur le sable, se retourna et vit que le chien ne le pourchassait plus. Max reprit son souffle en contemplant les vagues et la marée qui montait. Il reconnaissait cet endroit : cette petite crique, toujours déserte, éloignée des habitations, ses parents lui avaient formellement interdit d'y aller, sous peine d'être puni. Ils lui avaient déjà montré la crique du doigt en lui disant :« On l'appelle la Crique Maudite. C'est dangereux, il n'y a jamais personne, le courant est trop fort pour nager, les vagues sont hautes et puis il se passe toujours de drôles de choses là-bas... »


     Max se redressa. « Bon, cette fois, c'est sûr, je vais me faire gronder, il est super tard. Je ferais mieux de partir avant que mes parents ne me voient pas ici, sur la Crique Maudite. C'est vrai qu'elle fait peur. » Il marcha vers le sentier. PLOUF ! C'était quoi, ça ? On aurait dit un plongeur ! Max fit volte-face, aperçu quelque chose qui gesticulait dans l'écume noire. Rassemblant son courage, il s'approcha de l'eau, distingua un corps, n'hésita plus une seule seconde, plongea tout habillé pour porter secours au noyé. Bon nageur, il ramena le corps en quelques secondes vers le rivage, le déposa sur le sable, recula pour l'observer. Hein ? Mais... ça ressemblait à... c'était une petite fille !


     Elle paraissait du même âge que Max. Sa peau était très sombre, avec des reflets bleutés, ses petites lèvres rose pâle, ses immenses yeux jaunes avaient la pupille fine comme celles des chats... « C'est pas possible, je dois être en train de rêver... On dirait... une extraterrestre ! » Max n'en croyait pas ses yeux. « Ça alors ! Qu'est-ce qu'elle est belle... Oh ! Elle revient à elle ! » Leurs regards se croisèrent. « Merci. Tu m'as sauvée. Je m'appelle Luminia, et toi ? » « Max. D'où viens-tu ? »« De la planète Neptune. Sur quelle planète suis-je ? » « Tu es sur la planète Terre. Luminia, que faisais-tu dans l'eau ? Tu ne sais pas nager ? » Le regard jaune de Luminia s'éteignit : « Je suis tombée de mon vaisseau spatial. J'étais montée sur l'aile et je faisais des grimaces pour faire rigoler mon petit frère, quand Papa a accéléré pour éviter un astéroïde. J'ai perdu l'équilibre, je suis tombée. Dans ma planète, il n'ya pas d'étendue d'eau comme celle-ci, donc je ne sais pas nager. »

 
     Max tenta de la rassurer : « Attends un peu, peut-être qu'ils vont venir te chercher. » Luminia soupira : « C'est impossible, notre vaisseau va tellement vite qu'en une accélération il était déjà trop loin pour me voir tomber vers ta planète. Ce sera trop tard, quand ils vont s'en apercevoir. Je n'ai plus qu'à essayer de trouver un moyen pour communiquer avec eux et leur dire où je suis. » Max lui sourit : « Ne t'inquiète pas, en attendant, tu pourras rester à l'abri chez moi. Vu que mes parents ne vont sûrement pas être d'accord, je te cacherais dans le placard de ma chambre. »


     Ils empruntèrent le sentier, éclairé par la lueur de la pleine lune. Max trouvait Luminia de plus en plus jolie. Il n'en revenait pas : il avait bel et bien rencontré une extraterrestre ! Il lui prit la main. Luminia semblait heureuse de marcher avec lui. Max rompit le silence : « J'ai remarqué une chose étrange. Pourquoi tes lèvres ne bougent pas quand tu parles, alors que j'entends ta voix dans ma tête ? » Luminia se tourna vers lui. « C'est parce que, dans ma planète, les gens communiquent par la pensée. On a pas besoin d'utiliser notre bouche pour parler. D'ailleurs, toi non plus : pour discuter avec moi, tu n'as qu'à penser, et je comprendrai. À mon tour de te poser une question : à quoi servent les deux demi-cercles de chaque côté de ta tête ? » « Ce sont des oreilles ! Ça sert à entendre les sons autour de toi et à écouter de la musique. Tu n'en a pas ? » En guise de réponse, Luminia releva ses cheveux. Effectivement, son crâne lisse était dépourvu d'oreilles. Max réfléchi.


     C'était parfaitement logique : puisque la communication des Neptuniens ne produisait pas de sons extérieurs, avoir des oreilles leur était inutile. Luminia, troublée, lui demanda : « Ça fait quoi, quand on écoute de la musique ? » Max pensa : « Ça alors, c'est bien la pemière fois qu'on me pose une question pareille. » Encouragé par les yeux brillants de Luminia, il finit par répondre : « C'est comme voyager dans un autre univers, mais sans bouger de là où tu es.» Il continua : « C'est quand même terrible que tu ne saches pas ce que ça fait d'entendre un son... Attends, je pourrais peut-être essayer de te faire écouter un instrument de musique ou une voix. »

     Après être rentrés chez Max par la porte de derrière sans se faire repérer, Luminia alla vite s'installer dans le grand placard de la chambre de Max. Ce dernier lui fabrica un lit improvisé, à base de pulls et de vieilles peluches, lui monta à manger et à boire. Il en profita pour souhaiter bonne nuit à ses parents, lequels, absorbés par un documentaire télévisé, n'avaient pas prêté attention à l'heure tardive. Depuis son lit, il discuta pendant des heures avec Luminia, comparant leurs deux planètes, se racontant leurs secrets.

 
     Avant de s'endormir, Max pensa : « Ce que c'est chouette, la télépathie ! On peut parler sans être entendus et on ne dérange personne ! Oui mais... Du coup, d'un autre côté, Luminia ne connaît pas le plaisir d'écouter de la musique, elle ne sait pas ce que ça fait d'entendre les bruits de la vie quotidienne... Je suis sûr qu'on peut comprendre la musique même en étant sourd. Non, c'est décidé : je me promets de réussir à lui faire ressentir ne serai-ce qu'un son, une seule vibration, une petite note de musique. »

     Fidèle à sa promesse, durant les jours suivants, Max essaya tout. Absolument tout. Les répétitions de l'orchestre du conservatoire, les chansons du groupe de rock de son cousin, la télévision, la radio, l'ordinateur, Internet, sa console de jeux, le téléphone portable de sa mère, le piano (très désaccordé) de sa grand-mère, les ronronnements du chat de la voisine, les vrombissement des moteurs, le vent dans les voiles des bateaux, la corne de brume du port, le fracas des vagues, le chant des oiseaux... 

     Rien. Luminia ne percevait rien. Aucun bruit, aucun son, aucune note de musique. Au grand désespoir de Max, elle ne voyait que des mouvements, des mains qui s'agitent, des lèvres qui remuent... Toutes les nuits, ils sortaient par la porte de derrière, marchaient main dans la main jusqu'à la petite crique, sinistre lieu de naufrage de Luminia qui était devenue pour Max la plus sublime des plages paradisiaques. Là, au sommet des dunes, ils attendaient des heures interminables, blottis l'un contre l'autre, espérant sans cesse que la famille de Luminia arrive pour la ramener chez elle. Malheureusement, en une semaine, il n'y eu pas plus de traces de vaisseau spatial que de sons que Luminia pu percevoir.


     À l'école, dans le bus, à table, partout où Max allait, Luminia occupaittoutes ses pensées. Il l'imaginait, seule, dans sa chambre, cachée dans son placard, attendant son retour avec impatience. Toute la journée, il n'avait qu'une envie : rentrer chez lui et discuter silencieusement avec elle. Lors de leurs inlassables échanges, en quelques jours Max avait appris plus sur l'Univers qu'en toute sa vie de passionné du ciel. Luminia était elle aussi ravie, elle trouvait Max bien plus intelligent et gentil que tous les garçons qu'elle avait rencontrés sur Neptune et les autres planètes qu'elle avait visité. Mais sa famille lui manquait beaucoup.


     Heureusement, ils finirent bientôt par trouver une solution. Un soir, radieuse, Luminia annonça à Max le miracle qui s'était passé plus tôt dans la journée : « Ça y est ! Je sais ! J'ai réussi à percevoir un son aujourd'hui ! Cet après-midi, pendant que tu étais à l'école, ta mère a fait tomber un tiroir rempli de ce que vous appelez " cuillières " et ça a vibré fort dans mon crâne ! Je suis descendue discrètement à la cuisine et j'en ai pris deux avec moi. Depuis, je t'ai attendu en les tapant l'une contre l'autre et j'entends le son que leur choc produit ! » Max sauta de joie. « C'est formidable ! Viens avec moi, j'ai une idée ! »

 
     Ils se glissèrent sans aucun bruit dans le garage. Max se baissa, ramassa une vieille bonbonne de gaz vide. « Voilà ! Essaye de taper dessus avec les cuillières. » Pour Max, il n'en sorti qu'une cacophonie métallique. Pour Luminia, rien du tout. « Pourquoi ça ne marche plus ? » Déçu, Max donna un coup de pied dans la bonbonne, celle-ci roula et le dessous alla se fendre contre l'établi. Avec la vibration, un clou tomba, percuta la fente et... cette fois-ci, Luminia l'entendit ! « J'ai compris ! Il faut que le métal soit fendu et puisse résonner si je veux percevoir un son ! Il faut faire des trous en plus dans ce baril. » Ils firent plusieurs fentes circulaires en appuyant sur l'extrémité de la bonbonne avec le bout d'une grosse cuillière à soupe. Ils avaient fait huit fentes au total, car ce chiffre rappelait à Luminia les hublots du vaisseau spatial familial. Afin que la ressemblance avec ce véhicule soit plus frappante, ils découpèrent ensuite le milieu de la bouteille de gaz, et rattachèrent les deux extrémités au moyen d'un gros ruban adhésif. 


     Max s'exclama : « On dirait un gros galet ! » En effet, de leur bricolage avait résulté un curieux objet de forme ovale. Max tenta de jouer avec le bout de ses doigts cet instrument improvisé... quand Luminia le prit sur ses genoux et joua avec la tranche de ses deux pouces frappée contre les différentes fentes. Un mélodie qui avait l'air de descendre directement du ciel pour naître ici, dans ce garage sombre, grâce aux mains bleutées de Luminia. Pour Max, ces sonorités célestes sonnaient comme un remerciement, sinon une déclaration d'amour que lui faisait Luminia. Elle souriait, en pleine jubilation. Son expression de bonheur infini la rendait encore plus jolie, encore plus étrange. L'extase de cette musique inopinée et inouïe s'acheva avec la voix de Luminia : « Cette fois, c'est sûr : c'est la bonne ! Je suis sûre que ma famille pourra ressentir la vibration de ce matériau que vous appelez " métal ", qui n'existe pas chez nous, sur Neptune. Elle viendra me chercher. Il faut que je fasse les plus beaux sons si je veux qu'ils m'entendent. »


     Aussitôt dit, aussitôt fait. Toute la nuit, sur la plage devant chez Max, Luminia travailla sans relâche sur l'instrument, apportant des améliorations, cherchant à en tirer le meilleur son possible, poussant ou relevant de manière infime les lames. Lorsque chacune finit par chanter sa complainte métallique de façon agréable, Luminia réfléchit au volume sonore. Le jeu avec les mains n'était pas si mal, mais ne produisait pas assez de volume, considérait Luminia, pour pouvoir entrer en communication avec sa soucoupe volante. Elle jouait donc avec des baguettes fabriquées à partir de crayons et de gommes empruntés à Max. Ensuite, elle explora différentes mélodies, toutes plus belles les unes que les autres. « Je suis prête. » Les deux enfants se levèrent sans bruit. Ils marchèrent. Seules les étoiles et les vagues étaient leurs témoins. Ils arrivèrent devant les dunes de la Crique Maudite à l'heure à laquelle le matin se confond avec la nuit.


   L'instant de vérité tant attendu commença. L'instrument posé sur le sable encore humide allait-il pouvoir ouvrir les cieux ? Ou, à l'inverse, les épaissir ? Luminia brisa la conversation des oiseaux avec la mer par ses premières notes. Claires, détachées, brillantes comme du cristal, magnifiques. Les sons dansaient dans les oreilles de Max et Luminia pendant une minute ou deux. Le Temps lui-même semblait abasourdi par ce magnifique appel. 


     Une lumière bleutée, surréelle, éclaira progressivement tout le ciel. Max savait qu'ils avaient réussi. Les nuages s'ouvrirent. « Ouah ! Une soucoupe volante ! Une vraie ! » Un grand engin circulaire allongé se posait doucement sur la crique, au bord de l'eau. Il était entouré d'une sphère de lumière rose. Les yeux de Luminia s'emplirent de larmes de joie. « Ce sont eux ! Ils me ramènent à la maison ! » Elle courut vers l'engin à présent immobile, poussée par un vent de bonheur. Deux grandes silhouettes sombres sortirent du vaisseau, suivies par une plus petite. Max était impressionné. « Ça alors ! Ses parents sont immenses ! Et son frère a les mêmes yeux qu'elle ! » Luminia sauta dans leurs bras, puis montra Max du doigt. Celui-ci s'approcha, ravi. Enfin, il allait pouvoir monter dans une soucoupe volante, aller sur d'autres planètes... Les parents de Luminia le remercièrent de s'être occupé de leur fille, lui firent visiter leur véhicule, mais refusèrent catégoriquement de prendre Max avec eux. Luminia le réconforta. « Ils ont raison. Ça ferait trop de peine à tes parents, tes amis, ta famille si tudisparaissais pour toujours. Continue de vivre ici sur Terre. Moi, je ne t'oublierai jamais et je reviendrais te voir aussi souvent que possible. » Max s'inquiéta. « Mais comment te contacter pour te dire où je suis ? » « Tu n'auras qu'à jouer de notre instrument sur la crique. Tiens, je te le confie. » « Au fait... » Luminia se retourna. « Il lui faut un nom. » « Bonne idée. Attends... Je sais : tongue drum. L'intelligence artificielle de mon vaisseau s'appelle Tong et sur la batterie de ton cousin il y avait écrit " drum ". On va partir. À bientôt, Max. » Et ils s'embrassèrent. Max regarda le vaisseau décoller et s'éloigner sans bruit. 


     Il rentra chez lui, le tongue drum sous le bras, la douce voix de Luminia disait ces derniers mots en boucle dans ses pensées. Oui, Luminia tient bel et bien sa promesse. Tous les soirs, Max sort de chez lui, aussi discret qu'une ombre, son tongue drum sous le bras et court jusqu'à la crique le sourire aux lèvres. Une fois arrivé, il s'assoit et joue une mélodie, chaque fois différente de la veille, avec la seule règle qu'elle doit être spontanée, improvisée. Depuis son vaisseau individuel, Luminia entend l'appel de Max et file à travers la Nuit pour le rejoindre. Max monte, toujours en complimentant Luminia. « Tu es encore plus belle qu'hier soir. »


     Ils partent, explorent ensemble une planète, une constellation, un petit recoin inexploré de notre Univers infini. Comme les aiguilles de la montre de Max ne tournent pas dans l'Espace, le Temps contemple les deux amoureux qui discutent, se racontent leurs secrets, se font des farces, découvrent la faune et la flore d'une planète... Quand ils en ont assez de leurs jeux intergalactiques, Luminia redépose Max sur Terre, à la crique. Après un dernier bisou, chacun retourne à sa vie quotidienne sur sa planète respective, dans la hâte de revoir l'autre à la nuit tombée.


     Quand ils seront plus grands, ils se marieront, offriront à leurs nombreux enfants des tongues drums et leur raconteront l'histoire de cet instrument : celle de leur rencontre.


Victoire Valentin

tongue drum


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